Raconter des histoires pouvait signifier concocter des mensonges purs et simples. Comme "débiter des histoires" semblait le terme le plus approprié pour désigner ces livres d'aventures de la bibliothèque de Beechwood qui, au début, l'avait attirée. Se demander s'ils correspondaient à la réalité était absurde. Il s'agissait d'histoires. Le mot lui-même dégageait des effluves salés, propres aux marins et à la mer. Nombre de ces livres pour garçons qu'elle lisait parlaient d'une manière ou d'une autre de partir en mer - d'un voyage, d'un pays inconnu - comme si c'était là l'essence même de l'aventure, le rêve de tout jeune garçon. (Graham Swift - Le dimanche des mères)
De ma lointaine enfance un souvenir vague reste présent. Je manipule des plaques photographiques en verre venues de nulle part et disparues depuis. Toute une vie imprégnée de l'envie photographique et de l'impalpable.
En ce jour de janvier 2019, l’idée qui germe se nourrit de deux expériences artistiques marquantes. Tout d'abord l'œuvre de Damien Hirst : "Treasures from the Wreck" présentée à Venise en 2017, qui est une gigantesque aventure composée à partir de références à l'Histoire de l'Art mais ayant toutes les caractéristiques de la réalité, à la limite du fake news.
L'autre est l'exposition manifeste "From here on" aux rencontres d’Arles 2011, qui met en lumière le travail de certains artistes qui s'approprient les images digitales grâce à la banalisation des outils et l'hyperaccéssibilité des images, ils éditent, transforment déplacent de façon décomplexée tout ce qui peut être recueilli sur la toile.
J'avais rêvé dans les années 70 d'un long voyage vers la Chine, plus précisément à Harbin, sans doute envouté par un article paru dans GEO. Le camping-car fut aménagé, le projet plus ou moins engagé avec un ami, mais je me suis retrouvé à Bordeaux. Fin du rêve.
Maintenant je ne suis plus assez jeune pour entreprendre une telle aventure. Alors j'ai entrepris le voyage depuis mon bureau.
Je prends la route tracée 5à ans au paravant dans Google Street View. Je parcours le chemin en poussant la souris et grâce à la technologie je peux tourner le regard, observer à 360° autour de la route, m'approcher, m'éloigner.
J'ai mis quelques contraintes à ma situation de voyageur virtuel, je suis scrupuleusement la route, mètre après mètre, j’avance vers mon but. Sur chaque endroit traversé je suis en alerte et observe à droite et à gauche, m'engage vers l'inconnu et espère toujours l'image à saisir. C'est une expérience captivante, la moisson se fait petit à petit et chaque soir il y a des surprises. Finalement, cette photographie se rapproche de la photo de rue et l’acte photographique est apparenté (choix, cadre, traitement de l’image). Il manque le contact direct avec le paysage et les humains…
Le parcours photographique virtuel est complété par des extraits d’un autre parcours également virtuel: la lecture de romans. Les extraits de ces lectures abordent la réalité et la fiction, le voyage l’observation du paysage et des gens. Sujets très proches de l’univers photographique. Leur association aux images forment un sorte de portrait chinois où les mots et les imagent s’entremêlent pour former une fiction originale.













